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(R)évolution en droit des biens?

Ce mardi 17 mars, la loi insérant un nouveau livre 3 « les biens » dans le Code civil a été publiée au Moniteur belge.

La réforme maintient l’essentiel du régime applicable tout en le restructurant et en y insérant plusieurs lois spéciales telles que celles sur le droit de superficie et le droit d’emphytéose.

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Lignes directrices de la réforme

Le remaniement ainsi opéré s’articule autour des quatre lignes directrices suivantes : (i) la modernisation et l’actualisation des termes utilisés (ii) une approche davantage simplifiée et intégrée, (iii) l’instrumentalisation et (iv) la flexibilisation du droit des biens.

Le livre 3 se décompose en sept titres dont le titre premier énonce un ensemble de dispositions générales constituant le futur ‘tronc commun’ du droit des biens s’appliquant sauf disposition contraire à tout droit réel. Le législateur a ainsi entendu uniformiser les règles relatives à la naissance, à l’extinction, à l’objet et aux effets des droits réels tout en maintenant certains régimes particuliers pouvant contenir des dérogations aux normes générales.

Ce titre premier détaille certains des principes directeurs de la réforme.

L’article 3.1, répondant au besoin de flexibilité contractuelle, énonce ainsi que les dispositions du livre 3 sont supplétives sauf s’il s’agit de définitions ou si la loi en dispose autrement. C’est notamment le cas des dispositions relatives à la copropriété forcée qui sont expressément qualifiées d’impératives.

L’article 3.3 maintient quant à lui le controversé numerus clausus en vertu duquel seul le législateur peut créer des droits réels.  Ceux-ci sont limitativement énumérés. Il s’agit du droit de propriété, de la copropriété, des droits réels d’usage et des sûretés réelles. La catégorie des droits réels d’usage est quant à elle formée des servitudes, du droit d’usufruit, du droit d’emphytéose et du droit de superficie.

L’on épinglera encore l’article 3.4 qui consacre la règle selon laquelle, sauf exception, en cas de conflit entre des droits réels, le droit antérieur prévaut sur le droit postérieur.

La réforme consacre également différents régimes particuliers tels que la copropriété (titre 4), l’usufruit (titre 6) ou encore les relations de voisinage (titre 5) qui se voient désormais dotés d’un corps de règles centralisé et uniformisé.

Troubles de voisinage – intégration des principes jurisprudentiels et doctrinaux

Le titre 5 prévoit désormais légalement, en son article 3.101, la théorie jusqu’alors jurisprudentielle des troubles de voisinage selon laquelle tout titulaire d’un attribut du droit de propriété qui rompt l’équilibre établi entre fonds en infligeant à son voisin un trouble qui excède la mesure des inconvénients normaux du voisinage peut être condamné à l’une des mesures énoncées au paragraphe 2 de cette disposition.

Au-delà  des sanctions, ce titre encadre précisément le champ d’application, l’appréciation du caractère excessif ou encore la prescription de l’action en matière de trouble de voisinage.

Intégration et modernisation des régimes d’emphytéose et de superficie

Parmi les évolutions notables, l’on soulignera encore l’insertion de deux titres distincts relatifs au droit d’emphytéose (titre 7) et au droit de superficie (titre 8) qui étaient jusqu’alors règlementés par les lois du 10 janvier 1824 modifiées en 2014. Ces deux titres sont supplétifs de volonté à l’exception des définitions et  des dispositions qui en régissent la durée.

Le législateur a profité de la réforme pour clarifier et expliciter la durée, l’objet ou encore les droits et obligations de l’emphytéote et du superficiaire.

En ce qui concerne le droit d’emphytéose, il a ainsi précisé que son titulaire dispose de l’usage et la jouissance matériels et juridiques de l’immeuble sur lequel porte son droit. Il peut, dans l’exercice de ce droit, réaliser tous les ouvrages et plantations qu’il souhaite, et ce même s’il modifie de cette manière la destination de l’immeuble, pour autant toutefois qu’il n’en diminue pas la valeur. Pour ce faire, l’article 3.173 énonce que l’emphytéote doit faire toutes les réparations d’entretien et toutes les grosses réparations au sens de l’ article 3.153 régissant les obligations d’entretien de l’usufruitier.

Quant à son objet, le droit d’emphytéose peut porter indifféremment sur un fonds de terre bâti ou non ou sur un volume en sursol ou en sous-sol.

Enfin, la durée minimale du droit d’emphytéose, jusqu’alors fixée à 27 ans, passe désormais à 15 ans alors que sa durée maximale demeure de 99 ans.

Quant à elle, la durée maximale du droit de superficie est désormais alignée sur celle du droit d’emphytéose et ainsi étendue à 99 ans alors qu’elle est actuellement limitée à 50 ans, ce qui peut poser problème lorsque les dissociations de propriété sont envisagées pour une longue durée.

A titre exceptionnel, le droit de superficie peut être perpétuel. Tel est le cas lorsque le droit de superficie est constitué par le propriétaire du fonds soit à des fins de domanialité publique, soit pour permettre « la division en volumes d’un ensemble immobilier complexe et hétérogène comportant plusieurs volumes susceptibles d’usage autonome et divers qui ne présentent entre eux aucune partie commune » (article 3.180.). Cette seconde hypothèse suppose que coexistent sur un même fonds au moins deux volumes comprenant des ouvrages destinés à des affectations diverses susceptibles de gestion autonome et ne présentant aucune partie commune constitutive d’accessoire nécessaire (à titre d’exemple, les travaux préparatoires font référence à un bâtiment résidentiel, à une place publique ou à un centre commercial avec parking souterrain).

Portée de la réforme

En conclusion, la réforme des biens ne constitue pas une véritable révolution, de l’aveu même de ses deux architectes, les Professeurs Pascale Lecocq et Vincent Sagaert. La plupart des dispositions nouvelles entérinent en effet des évolutions jurisprudentielles et doctrinales déjà bien établies.

Il convient toutefois de ne pas en minimiser la portée.

Le futur livre 3 entrainera des répercussions aussi bien pour les professionnels de l’immobilier dans la manière dont ils structureront leurs opérations (avec notamment la modification des régimes de l’emphytéose et de la superficie permettant entre autres la création de volumes) que pour la vie quotidienne des particuliers (copropriété, voisinage ou usufruit).

Entrée en vigueur

La loi entre en vigueur le premier jour du dix-huitième mois qui suit celui de sa publication au Moniteur belge, soit le 1er septembre 2021.

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Pour plus d’informations sur cette réforme, n’hésitez pas à contacter Manuela von Kuegelgen [2] (mvk@simontbraun.eu [3])  ou Mathieu Coppée [4] (mathieu.coppee@simontbraun.eu [5]).