La loi du 13 avril 2019 portant création d’un Code civil et y insérant un livre 8 « La preuve » a été publiée au Moniteur belge le 14 mai 2019. Elle contient un certain nombre de clarifications et de modifications du régime antérieur du droit de la preuve, dont les suivantes sont à retenir.
1. L’acte juridique portant sur une somme ou une valeur égale ou supérieure à 3.500 euros doit être prouvé par un écrit signé
Il était auparavant prévu que la preuve de toutes « choses » excédant 375 euros devait faire l’objet d’un écrit signé. Le législateur a modifié l’ancien système à deux égards. Premièrement, il est maintenant prévu que cette règle concerne les « actes juridiques », à l’exception des actes juridiques unilatéraux dont la preuve est en principe libre (voy. n° 4). Deuxièmement, le seuil à partir duquel une preuve écrite signée doit être rapportée a été substantiellement élevé.
2. L’acte juridique consistant en un contrat à prestations successives doit être prouvé par un écrit signé lorsque la valeur totale des rémunérations des prestations pour une durée maximale d’un an atteint le seuil de 3.500 euros
La nouvelle loi clarifie la façon dont le seuil de 3.500 euros doit être appliqué dans des contrats à prestations successives, tels par exemple les contrats à durée indéterminée dans lesquels une rémunération mensuelle est organisée. Il est prévu à cet égard que la valeur à prendre en considération est la valeur totale des rémunérations des prestations pour une durée maximale d’un an.
3. L’acte juridique dont l’évaluation de l’objet est indéterminable peut être prouvé par tous modes de preuve
Le nouveau livre 8 du Code civil règle désormais la question de l’exigence d’un écrit signé lorsque la valeur de l’acte juridique est indéterminable. Dans ce cas, la preuve de cet acte peut être rapportée par tous modes de preuve.
4. L’acte juridique unilatéral peut être prouvé par tous modes de preuve, sauf s’il concerne un engagement de payer une somme d’argent ou de livrer une quantité de choses fongibles
Le nouveau régime de la preuve apporte une dérogation importante à l’exigence d’un écrit pour tout acte juridique égal ou supérieur à 3.500 euros. En effet, une telle preuve n’est pas requise pour les actes juridiques unilatéraux, tel par exemple un engagement unilatéral d’effectuer une prestation matérielle. Néanmoins, l’engagement unilatéral de payer une somme d’argent ou une quantité de choses librement interchangeables doit être prouvé par un écrit (i) signé par celui qui s’engage et (ii) contenant la mention, écrite en toutes lettres et de la main de celui qui s’engage, de la somme ou de la quantité de choses.
5. Celui qui invoque un fait positif peut le prouver par vraisemblance lorsqu’il n’est pas possible ou pas raisonnable d’exiger de celui-ci une preuve certaine
Les nouvelles dispositions légales prévoient que la preuve doit en principe être apportée, non pas avec une certitude absolue, mais avec un degré raisonnable de certitude. Néanmoins, lorsqu’il n’est pas possible ou pas raisonnable d’exiger un tel degré de certitude en raison de la nature du fait positif à prouver, la partie qui invoque ce fait pourra le prouver par vraisemblance.
6. Celui qui invoque un fait négatif doit le prouver mais peut se contenter d’établir la vraisemblance de ce fait
Par le passé, la Cour de cassation a affirmé à plusieurs reprises que, contrairement à une idée assez répandue, la preuve d’un fait négatif n’est pas impossible et n’emporte pas un renversement de la charge de la preuve. La Cour a en revanche admis que la preuve d’un tel fait négatif puisse être rapportée avec une certaine souplesse. Les nouvelles dispositions en matière de preuve confirment cet enseignement et permettent d’établir un fait négatif par vraisemblance.
7. La charge de la preuve d’un fait ou d’un acte incombe à celui qui l’invoque, sauf décision contraire et spécialement motivée du juge en cas de circonstances exceptionnelles
En règle, il appartient à celui qui fait valoir une prétention en justice de prouver les actes juridiques ou les faits qui la fondent. Une dérogation importante à ce principe cardinal est désormais légalement prévue. En effet, le juge peut renverser la charge de la preuve à condition (i) que des circonstances exceptionnelles le justifient, (ii) que l’application des règles normalement applicables à la charge de la preuve soit manifestement déraisonnable, (iii) qu’un jugement spécialement motivé sur la question soit rendu, (iv) que toutes les mesures d’instruction utiles aient au préalable été ordonnées, (v) que le juge ait veillé à ce que les parties collaborent à l’administration de la preuve et (vi) que des preuves suffisantes n’aient malgré tout pas pu être obtenues.
8. La preuve entre et contre les entreprises est libre
Le régime de la preuve libre s’appliquait antérieurement entre et contre les commerçants. Or, la réforme récente du droit des entreprises a supprimé la notion de « commerçant » pour la remplacer par celle d’ « entreprise », laquelle inclut notamment les ASBL et les professions libérales. Le nouveau livre 8 du Code civil étend la liberté de la preuve à toutes les entreprises, et donc en ce compris à celles que n’étaient antérieurement pas considérées comme des commerçantes.
9. La facture acceptée fait preuve de l’acte juridique allégué
Antérieurement, la force probante de la facture acceptée et la portée de la règle posaient un certain nombre de questions. Les nouvelles dispositions en la matière clarifient la situation et distinguent deux hypothèses.
9.1 Contre une entreprise
Sauf preuve contraire, la facture acceptée par une entreprise ou l’absence de contestation dans un délai raisonnable vaut preuve de l’acte juridique allégué contre l’entreprise (qu’il s’agisse d’une vente commerciale ou d’une autre opération commerciale). La facture acceptée et l’absence de contestation ont donc force probante contre l’entreprise.
9.2 Contre une personne qui n’est pas une entreprise
La facture acceptée par une personne qui n’est pas une entreprise constitue une présomption de fait de l’acte juridique allégué contre elle. La valeur probante d’une telle facture acceptée est donc en principe laissée à l’appréciation du juge. Pour le surplus, l’absence de contestation d’une facture par une personne qui n’est pas une entreprise ne vaut pas acceptation, sauf si l’absence de contestation constitue un silence circonstancié.
10. La loi du 13 avril 2019 entrera en vigueur le 1er novembre 2020
Sous réserve de deux articles (relatifs aux support et copies des actes authentiques), le nouveau régime de la preuve sera d’application à compter du 1er novembre 2020. Reste à déterminer comment les dispositions nouvelles s’appliqueront aux effets futurs des situations nées sous l’empire de la loi ancienne mais qui se produiront ou se prolongeront après le 1er novembre 2020.
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