Mesures pan-européennes anti-contrefaçon contre plusieurs défendeurs établis dans différents États membres de l’Union européenne
En bref
Par arrêt du 7 septembre 2023 (Beverage City Polska, C-832/21), la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a jugé que plusieurs défendeurs établis dans différents États membres de l’UE, tous accusés d’avoir commis le même acte de contrefaçon d’une marque de l’UE et liés par un contrat de distribution exclusive, peuvent être attraits devant la juridiction du siège de l’un d’eux.
Ceci est important (en pratique car, dans un tel cas, le pouvoir de la juridiction ainsi saisie d’une action en contrefaçon n’est pas limité au territoire de l’État membre de l’UE dans lequel cette juridiction est établie, mais s’étend à l’ensemble du territoire de l’UE, y compris à l’égard du défendeur qui n’est pas domicilié dans cet État membre (arrêt du 27 septembre 2017, Nintendo, C-24/16 et C-25/16).
Les faits
Advance Magazine Publishers (AMP) est titulaire de plusieurs marques de l’Union européenne contenant l’élément verbal “Vogue”. Beverage City Polska (BCP) assure la production, la promotion et la distribution d’une boisson énergisante sous la dénomination “Diamant Vogue”. Tant la société BCP que son gérant (FE) sont établis (domiciliés) en Pologne. BCP a conclu avec la société Beverage City & Lifestyle (BCL), une société de droit allemand, établie en Allemagne et dont le gérant (MJ) est également domicilié en Allemagne, un contrat de distribution exclusive pour l’Allemagne en vertu duquel celle-ci lui achetait la boisson énergisante “Diamant Vogue”. Les deux sociétés BCP et BCL n’appartiennent pas au même groupe et ne sont liées que par le contrat de distribution exclusive.
Estimant que l’utilisation de la dénomination “Diamant Vogue” constitue une contrefaçon de ses marques de l’Union Européenne, AMP a introduit une action en contrefaçon devant le tribunal régional de Düsseldorf (Landgericht Düsseldorf) afin d’obtenir des mesures d’interdiction sur l’ensemble du territoire de l’Union européenne. BCP et FE ont contesté la compétence internationale des juridictions allemandes dès lors qu’ils ont agi et ont livré des marchandises à leurs clients exclusivement en Pologne, et que les différentes sociétés n’appartiennent pas au même groupe et ne sont liées que par le contrat de distribution exclusive. Le tribunal régional de Düsseldorf a fait droit à l’action introduite par AMP en fondant sa compétence sur l’article 8(1) du Règlement n°1215/2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (Bruxelles Ibis). En degré d’appel, le tribunal régional supérieur de Düsseldorf (Oberlandesgericht Düsseldorf) a décidé de surseoir à statuer et de poser une question préjudicielle à la CJUE.
L’arrêt
En vertu de l’Article 8(1) du Règlement Bruxelles Ibis, une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut aussi être attraite, s’il y a plusieurs défendeurs, devant la juridiction du domicile de l’un d’eux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps. Cette règle de compétence vise à éviter le risque de jugements inconciliables résultant de procédures distinctes et à faciliter une bonne administration de la justice.
Des décisions peuvent être considérées comme inconciliables lorsqu’il existe une divergence dans la solution des litiges, mais cette divergence doit s’inscrire dans le cadre d’une même situation de fait et de droit.
- Existence d’une même situation de droit: conformément à son précédent arrêt Nintendo en matière de dessins et modèles communautaires, la CJUE a estimé que cette condition semble satisfaite en ce que l’action en contrefaçon introduite vise à la protection du droit exclusif que possède AMP sur des marques de l’Union européenne, titres de propriété intellectuelle ayant un caractère unitaire et produisant les mêmes effets sur l’ensemble du territoire de l’Union européenne.
- Existence d’une même situation de fait: la CJUE souligne que l’existence d’un lien de connexité des demandes concernées tient principalement à la relation existant entre l’ensemble des faits de contrefaçon commis plutôt qu’aux liens organisationnels ou capitalistiques entre les sociétés concernées, et qu’il convient de porter une attention particulière à la nature des relations contractuelles existant entre le client et le fournisseur afin d’établir l’existence d’une même situation de fait. En l’espèce, en raison de la coopération étroite entre les deux sociétés BCP et BCL, démontrée par (i) la relation contractuelle exclusive entre les deux sociétés en Allemagne et (ii) le fait que les deux sociétés exploitent deux sites Internet dont les noms de domaine n’appartiennent qu’à un seul des codéfendeurs et par l’intermédiaire desquels les produits en cause étaient commercialisés par renvoi entre ces sites, la CJUE a jugé que les actes de contrefaçon allégués semblent relever d’une même situation de fait, justifiant la compétence d’une seule juridiction pour statuer sur les demandes dirigées contre l’ensemble des acteurs ayant commis ces actes.
La CJUE a dès lors conclu que plusieurs défendeurs domiciliés dans différents États membres peuvent être attraits devant la juridiction du domicile de l’un d’eux, dans le cadre d’une action en contrefaçon liée à une atteinte matériellement identique à une marque de l’Union européenne, lorsque ces défendeurs sont liés par un contrat de distribution exclusive.
Commentaires
Cet arrêt est en continuité avec la jurisprudence établie par la CJUE dans ses arrêts Painer (C-145/10) dans le domaine des droits d’auteur, Solvay (C-616/10) dans le domaine des brevets, et Nintendo (C‑24/16 and C‑25/16) en matière de dessins et modèles communautaire. Dans ce dernier arrêt, la CJUE a notamment déclaré que plusieurs défendeurs domiciliés dans différents États membres peuvent être attraits devant la juridiction du domicile de l’un d’eux, dans le cadre d’une action en contrefaçon en raison d’une atteinte à un dessin ou modèle communautaire, lorsqu’un défendeur fabrique et livre à l’autre défendeur les produits que ce dernier commercialise.
L’arrêt Beverage City Polska de la CJUE soulève également la question de savoir si un contrat de distribution ordinaire (non exclusif) peut suffire à établir l’existence d’une même situation de fait. En effet, indépendamment de la nature exclusive ou non exclusive du contrat de distribution, les deux sociétés vendent le même produit prétendument en infraction. À l’exception de l’exclusivité, les faits sont matériellement identiques dans les deux cas et cela soulève la question légitime de savoir si un contrat de distribution non exclusif ou un simple contrat de vente entre deux sociétés pourrait ou devrait aussi être considéré comme suffisant pour établir l’existence d’une même situation de fait.
Pour toute question ou assistance, veuillez contacter :
Équipe – Propriété Intellectuelle | IP@simontbraun.eu – +32 (0)2 543 70 80
Vous pouvez télécharger une version PDF de cette publication ici.
***
Cet article ne constitue pas un avis ou un conseil juridique. Veuillez-vous adresser au conseil juridique de votre choix avant d’agir sur la base des informations contenues dans cet article.