On sait que la question de savoir si une autorité publique peut obtenir le remboursement de dépenses qu’elle a exposées, en vertu d’une obligation légale, réglementaire ou contractuelle, à la suite de la faute d’un tiers, a connu une nette évolution dans la jurisprudence de la Cour de cassation (P.A. Foriers, « Aspects du dommage et du lien de causalité », in Droit des obligations, Bruxelles, Bruylant, 2014, pp. 15-20, nos 11-15). Depuis ses arrêts du 19 février et 20 février 2001 (Pas., 2001, nos 96, 97, 98, 99, 100 et 101), la Cour de cassation enseigne en effet que de telles dépenses peuvent constituer un dommage réparable au sens de l’article 1382 de l’ancien Code civil, à moins qu’il ne résulte de la portée d’une loi, d’un règlement ou d’une convention que ces dépenses doivent rester définitivement à la charge de l’autorité publique.
Il est relativement rare qu’une loi, qu’un règlement ou qu’une convention prescrive que les dépenses réalisées par une autorité publique, à la suite de la faute d’un tiers, doivent rester définitivement à sa charge. Par exemple, le fait qu’une autorité publique dispose de services affectés à l’entretien et à la réparation d’une voirie n’implique pas nécessairement pas qu’elle doive conserver ces frais à sa charge si son intervention a été causée par la faute d’un tiers. Bien qu’étant obligée de déblayer une route obstruée, une commune peut ainsi réclamer une indemnisation pour ces frais à celui qui l’a fautivement encombrée : l’obligation de la commune de déblayer la route est en effet subsidiaire par rapport à celle qui incombe en ordre principal à celui qui a obstrué la voie publique par des objets de les enlever (P. Van Ommeslaghe, Traité de droit civil belge, t. II, Les obligations, vol. 2, Bruxelles, Larcier, 2013, pp. 1589-1590, n° 1083).
Un intéressant arrêt de la Cour de cassation du 12 juin 2024 (R.G. n° P.24.0239.F) a cependant consacré une hypothèse où les frais exposés par une autorité publique devaient définitivement rester à sa charge.
Dans cette affaire, l’assureur-loi d’une commune, dont plusieurs pompiers avaient été tués ou blessés lors de la catastrophe de Ghislenghien, demandait le remboursement des indemnités versées à ces pompiers ou à leurs ayant droits, en application de la loi du 3 juillet 1967 sur la prévention ou la réparation des dommages résultant des accidents du travail, des accidents survenus sur le chemin du travail et des maladies professionnelles, à charge des responsables de cet incendie involontaire.
Les responsables de cet incendie s’opposèrent à cette prétention en soutenant que les indemnités versées par l’assureur-loi de la commune ne constituaient pas un dommage réparable au sens de l’article 1382 de l’ancien Code civil. Ils faisaient en effet valoir que la lutte contre l’incendie faisait partie de la mission légale des communes et qu’elle représentait une dépense devant rester à leur charge.
La cour d’appel de Mons condamna cependant les responsables de l’incendie. Tout d’abord, la cour décida qu’il résultait des articles 135, § 2, alinéa 2, 5°, et 255, 11° de la nouvelle loi communale, de l’article L. 1321-1, 11°, du Code de la démocratie locale et de la décentralisation, ainsi que des articles 11 et 178, §1er, de la loi du 15 mai 2007 relative à la protection civile, que les frais ordinaires encourus lors de l’intervention des pompiers demeuraient à charge de la commune, mais que cette dernière pouvait récupérer les frais extraordinaires, soit les frais engagés pour une intervention impliquant des blessures ou la mort d’un pompier, à charge des tiers responsables de l’incendie. Par ailleurs, la même cour considéra que l’assureur-loi de la commune était fondé à récupérer ces frais extraordinaires en se prévalant du recours subrogatoire prévu par l’article 14, § 3, de la loi du 3 juillet 1967 précitée.
La Cour de cassation a cassé cette décision par son arrêt du 12 juin 2024. Elle a en effet rappelé qu’aucune disposition des lois et codes précités « ne prévoit que ce principe de non-récupération des débours exposés ne concernerait que les frais ordinaires encourus lors d’une intervention normale ». Lisant en outre ces dispositions à la lumière de l’article 2bis/1, § 1er, de la loi du 31 décembre 1963 sur la protection civile, certes non encore en vigueur au moment de l’incendie de Ghislenghien, mais qui confirme néanmoins « la volonté persistante du législateur d’exclure la lutte contre l’incendie de l’assiette de recouvrement des autorités communales », la Cour estime que le législateur a bien eu la volonté « d’exclure la lutte contre l’incendie de l’assiette de recouvrement des autorités communales ».
La haute juridiction rappelle ainsi que l’ensemble des frais exposés pour la lutte contre le feu et l’explosion doivent rester à charge des communes, comme elle l’avait déjà notamment fait par un arrêt du 12 mars 1999 (Pas., 1999, I, n° 149 ) et par un autre du 13 février 1980 (Pas., 1980, I, p. 690).
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