Dans un arrêt du 31 janvier 2025 (n° 262.195), le Conseil d’État a confirmé qu’un opérateur économique peut valablement s’appuyer sur les capacités techniques et professionnelles d’une entité tierce afin de satisfaire à une exigence d’agréation, pour autant que celle-ci soit présentée dans le cahier des charges comme un critère de sélection relatif aux capacités techniques et professionnelles du candidat.
Dans cette affaire, le cahier des charges imposait aux soumissionnaires de justifier d’une agréation en catégorie D, classe 4, en tant que critère de sélection technique. L’adjudicataire avait fait appel aux capacités d’une entité tierce pour satisfaire à cette exigence, ce que le pouvoir adjudicateur avait accepté. Un autre soumissionnaire a contesté cette interprétation, estimant qu’une telle pratique était irrégulière.
Le Conseil d’État a toutefois rejeté ce grief, en s’appuyant sur une lecture combinée de l’article 78 de la loi du 17 juin 2016 relative aux marchés publics et de l’article 73, § 1er, al. 1er de l’AR Passation du 18 avril 2017. Ces textes prévoient explicitement qu’un soumissionnaire peut, pour un marché déterminé, se prévaloir des capacités techniques et professionnelles d’une autre entité, indépendamment du lien juridique entre les deux parties.
L’exigence d’agréation, visée à l’article 70 de l’AR Passation 2017, entre bien dans le champ de ces capacités techniques, ce qui autorise le recours aux capacités d’un tiers. Le Conseil se fonde également sur l’exposé des motifs de la loi relative aux contrats de concession, qui explicite la volonté du législateur de permettre un tel recours (Doc. parl. Chambre 2015-2016, 54-1708/001, p. 102).
Cette position s’inscrit dans une évolution jurisprudentielle, la question ayant, précédemment, été sujette à discussions : si l’arrêt du Conseil d’Etat du 21 août 2015 (n° 232.070 ) semblait interdire le recours à un tiers en matière d’agréation, cette position était fondée sur l’ancien AR Passation de 2011. Le Conseil d’État considère dès lors cette jurisprudence comme non pertinente en l’espèce, puisque cet arrêté n’est pas applicable au marché public litigieux.
Il distingue également l’arrêt de 2025 de l’arrêt du 14 mai 2024 (n° 259.724), où le recours à un tiers avait été exclu, dans la mesure où l’agréation y était considérée comme un critère de sélection relatif à l’aptitude à exercer une activité professionnelle. En effet, contrairement aux capacités techniques, l’aptitude professionnelle ne peut être déléguée à un tiers.
En pratique, cette distinction revêt une importance cruciale. Si l’agréation est érigée à tort en critère d’aptitude professionnelle dans un cahier des charges, un opérateur économique ne pourra se fonder sur la capacité d’une entité tierce. Un opérateur économique qui souhaiterait recourir à une telle capacité externe aurait donc tout intérêt à solliciter une clarification ou une modification du cahier des charges.
Cette jurisprudence met en exergue la nécessité d’identifier et de catégoriser correctement les critères de sélection dans les documents du marché. Elle incite d’une part, les pouvoirs adjudicateurs à une rigueur accrue dans la rédaction des clauses relatives à la sélection qualitative, en particulier à l’agréation, et d’autre part, les soumissionnaires, à une lecture critique de celles-ci, notamment en ce qui concerne la nature juridique de chaque exigence.
Ceci permettra en tout état de cause de faciliter l’accès aux marchés publics à de multiples opérateurs économiques.
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