Au terme de son arrêt du 29 mars 2024 (C.23.0253.F-0262.F), la Cour de cassation a eu l’occasion d’unifier sa jurisprudence concernant la perte d’une chance, celle d’éviter la survenance d’un dommage résultant, en l’espèce, de l’inhalation de méconium à la naissance, pour le bébé, si la césarienne pratiquée sur la mère l’avait été plus rapidement.
La Cour énonce que « [l]a perte d’une chance est un dommage spécifique qui consiste en la perte d’un avantage probable » et ajoute en particulier que « cet avantage peut consister soit en l’obtention d’un avantage qui aurait pu être obtenu mais ne l’a pas été, soit en l’évitement d’un désavantage qui aurait pu être évité mais ne l’a pas été ». Elle considère que « [c]e dommage donne lieu à réparation lorsqu’il existe un lien de causalité entre la faute et le dommage ».
Jusque-là, contrairement aux chambres néerlandaises de la Cour de cassation, des chambres françaises refusaient de consacrer une telle conception élargie de la perte d’une chance, considérant que celle-ci concernait uniquement la perte d’une chance d’obtenir un avantage probable (l’exemple classique est la chance perdue de gagner une course), mais n’incluait pas les cas où le risque était couru, quoi qu’il eût pu être évité (comme en l’espèce).
Cette distinction, peu favorable à la victime et qui se défendait par des raisons techniques, nécessitait que l’on raisonne en recourant, paradoxalement, parfois à des artifices. Le Professeur Jafferali écrivait : « Que l’on songe ainsi à la faute de l’avocat ayant consisté à laisser expirer un délai d’appel. Dira-t-on que la chance perdue est positive, et, partant indemnisable lorsque le jugement avait rejeté la demande du client (et que celui-ci a donc perdu une chance d’obtenir un avantage) et négative, et partant non indemnisable, lorsque ce même jugement a accueilli la demande de la partie adverse (et que le client a donc perdu une chance d’éviter un inconvénient) ? » (R. Jafferali, « La causalité », in Manuel du droit de la responsabilité civile, Limal, Anthemis 2022, n° 189, p. 195).
L’arrêt de la Cour de cassation met fin aux discussions à cet égard et respecte, anticipativement le choix du législateur qui à l’article 6.22 du nouveau Code civil prévoit désormais « [l]orsqu’il n’est pas certain que la faute commise par la personne dont la responsabilité est invoquée est une condition nécessaire du dommage parce que le dommage aurait pu se produire également si cette personne s’était comportée de manière licite plutôt que de commettre une faute, la personne lésée a droit à une réparation partielle en proportion de la probabilité que cette faute ait causé le dommage » (entrée en vigueur le 1er janvier 2025).
***
Cet article ne constitue pas un avis ou un conseil juridique. Veuillez-vous adresser au conseil juridique de votre choix avant d’agir sur la base des informations contenues dans cet article.